Le dernier Scorsese n’est pas de cette trempe, il y a des longueurs certes, mais qui ne desservent quasiment pas le film. Sur un fait divers aux allures de scandale raciste et sociologique, il choisit de raconter de l’intérieur pour mieux nous faire ressentir le malaise, dénonçant toute une tranche de la population de Fairfax en Oklahoma, obnubilée par l’argent et la possession de territoires au point de commettre des meurtres, les uns couvrant les autres avec une noirceur psychologique qui fait froid dans le dos.
Au début du XXème siècle, les indiens Osage, dont le comté porte leur nom, se sont enrichis grâce au pétrole issu de leurs terres. Placées sous tutelle financière par l’Etat, les familles voient leurs coutumes et leurs descendances se perdre dans les mariages avec des Blancs. Ceux-ci en épousant des femmes Osage deviennent les héritiers légitimes de leurs concessions. Ernest Bukhart (Léonardo DiCaprio), revenu de la première guerre mondiale, se voit attribué par son oncle le très influent William Hale( Robert De Niro) la mission de séduire Molly (Lily Gladstone), une riche propriétaire. Tandis que les meurtres et morts mystérieuses d’Indiens Osage se multiplient, Ernest devient le chauffeur attitré de Molly.
Le film est une autopsie d’un génocide programmé des indiens Osage, poisons, assassinats aux pistolets par personnes interposées. L’organisation calculatrice des Blancs est à vomir, ceux-ci devenant les faux-domestiques des riches Indiens pour mieux les duper. Le personnage de DiCaprio, partagé entre l’appât du gain, la peur de son oncle et son amour pour Molly est sans doute le plus complexe que l’on ait vu depuis longtemps. Basé sur des événements et des personnages réels, le spectateur reste halluciné du peu de valeur qu’accordait les américains aux vies humaines des amérindiens à cette époque. En même temps entre l’esclavagisme noir et l’extermination des tribus indiennes à peine 60 ans auparavant, comment peut-on être étonné de la froideur et de l’avidité générale ? Justement parce qu’elle était générale. Au sein de Fairfax, pas un Blanc n’était au courant et devenait plus ou moins complice des meurtres perpétués.
Scorsese retranscrit très bien cette décadence morale liée à l’argent, les territoires et ce besoin de posséder plus. Mais il a eu aussi l’idée maline de nous immerger dans la culture Osage, à travers des scènes parfois proches de leurs folklores, qui n’apportent rien à l’évolution de la narration mais permet d’apprécier un peuple démuni et bafoué qui obtiendra justice grâce à l’intervention -tardive- du FBI, organisme naissant sous la direction de J. Edgar Hoover.
Au centre de ce scandale écœurant, un trio d’acteurs se dégage du lot. DiCaprio et De Niro bien sûr, fidèles du cinéaste, avec respectivement cinq et neuf films tournés avec Sorcsese. Leurs rapports, fondés à la fois sur la peur et le respect des générations, donnent lieu parfois à des scènes de dominant et de dominé, accentuant le coté maladif de cette société, bourrée d’hypocrisie en présentant un visage compatissant à l’opinion publique, la loi et la religion. Et il y a Lily Gladstone, lumineuse, dont le personnage, Molly, portant la force tranquille de tout un peuple, ne sera pas dupe de l’avidité des Blancs mais finira par se laisser séduire par l’amour d’Ernest qui lui semblait différent. Un amour vérolé, perverti, toujours sur le fil du rasoir entre le mensonge et la passion que le scandale et la vérité finira d’achever.
Scorsese fait aussi preuve d’une inventivité et d’une audace désarmante dans son épilogue, racontant sous une forme d’émission radiophonique, le destin final de ses divers protagonistes, à grand renfort de bruitages ingénieux et typiques, donnant un coté vintage à sa conclusion qui devient le contre-pied d’une industrie cinématographique, dominée par les effets spéciaux, les fonds verts et la motion-capture.
Sans doute pas son meilleur film loin de là, mais dans le panorama actuel, sa dénonciation d’une Amérique au passé pas très glorieux, pervertie et avide, se conjugue merveilleusement avec la solidarité envers les opprimés et son amour du cinéma.