Article de Frédéric SERBOURCE
Les premières minutes que l'on passe à parcourir cette "Nightmare Alley" ont beau nous montrer explicitement la fuite d'un homme devant un passé qu'il a cherché à réduire en cendres, le personnage de Bradley Cooper reste longtemps muet à l'écran, préférant se fondre dans les décors du monde forain, où il trouve momentanément un refuge et un travail aux côtés de ses figures freaks solidaires. Ce n'est qu'à la suite d'un incident, l'obligeant à s'introduire dans les enfers d'une attraction ô combien symbolique, que le personnage prononce ses premiers mots face au visage le moins reluisant de cette fête foraine. Car c'est le tournant capital du film, celui qui se présente sous le nom de Stan Carlisle vient en effet, et sans le savoir, de basculer dans un cycle d'autodestruction où la répétition des erreurs du passé ne laissera aucun échappatoire possible.
Comme son personnage qui cherche à se perdre dans ce milieu extravagant du cirque et de ses "monstres" de foire afin de rebondir, Guillermo Del Toro installe les pions de son récit dans cet univers fantasque en corrélation avec le cinéma qu'on lui connaît mais où, cette fois, l'illusion du fantastique se cantonne aux yeux de la foule naïvement bernée pour laisser le devant de la scène au charlatanisme et à ses subterfuges qui gouvernent l'envers de son décor. Ainsi, s'il permet dans le même temps à son triste héros d'obtenir une capacité avec laquelle il pense enfin avoir l'existence et la place qu'il mérite en ce monde, ce freak show est également un cadre de départ idéal pour le réalisateur bien décidé à quitter sa zone de confort en direction du film noir.
De fait, "Nightmare Alley" peut sembler suivre une trajectoire classique du genre dit "noir" pendant un long moment en s'attardant sur l'apprentissage des ficelles du mentalisme par Stan puis sur son ascension fulgurante dans le domaine (en plus de quelques virages sentimentaux convenus) mais, dans l'ombre, le film n'oublie en réalité jamais de souligner chacun des choix irrattrapables pris par un personnage qui se condamne aux mêmes châtiments d'un passé qu'il pensait laisser derrière lui.
Entre l'ingénue, puis voix de la raison, incarnée par Rooney Mara et la femme fatale, véritable serpent à visage humain, magistralement campée par Cate Blanchett, la soif d'ambitions à jamais insatisfaite de Stan (Bradley Cooper, parfait) aura tôt fait de l'entraîner dans les écailles froides de la deuxième pour le conduire à l'ultime étape de sa progression infernale qui l'engloutira définitivement. La dernière partie de ce "Nightmare Alley" sera une réussite en tout point, faisant vivre à Stan un retour de flammes à la hauteur des conséquences de sa propre noirceur et désormais représenté par des éclats de violence imparables à l'écran. N'ayant eu de cesse de faire rimer le parcours psychologique de son personnage avec l'excellence de sa mise en scène et sa direction artistique irréprochable, "Nightmare Alley" s'achèvera sur la déchéance la plus inévitablement cruelle auquel ce cycle ainsi dirigé vers la part la plus sombre de l'âme humaine pouvait conduire, le miroir des péchés passés et à venir que l'on avait décelé dans les débuts du film sera devenu une triste réalité, nous laissant sur la plus terrible des répliques et un rire de désespoir total.
Un grand film noir. Un grand moment de cinéma. Un grand Guillermo Del Toro en somme.
Et mon premier gros temps fort de l'année au cinéma personnellement.
Article complémentaire de Wilfrid RENAUD
Guillermo Del Toro n’est jamais meilleur que dans la
noirceur la plus totale et la moins tape-à-l’œil dans son cinéma . « Le Labyrinthe de Pan » , « L’échine
du Diable » et son oscarisé « La forme de l’eau » sont là pour
en témoigner mais si pour ce dernier, le conte tragique se pare de poésie et d’un
happy-end inhabituel.
Ici, à travers le personnage de Stan Carlise, brillamment
interprété par Bradley Cooper, est un antihéros
détestable, manipulateur, menteur, escroc et trop ambitieux qui va vivre une
descente aux Enfers depuis les coulisses d’un cirque aux hautes sphères de la
société. Le film brasse plusieurs genres, dont le film noir à travers sa mise
en scène ou son personnage de femme fatale, campée par Cate Blanchett,
délicieusement vénéneuse. Au-delà d’un casting solide et d’une mise en scène
inspirée, la photographie est superbe, ce sont surtout ses multiples références
littéraires qui font mouche, notamment celle du mangeur de poules, attraction
freaks, qui rappelle une nouvelle de Robert Bloch dans ses Contes de Terreur Nouvelles publiées entre 1940 et les années 70),
même si ici, le fantastique apparaît comme un miroir truqué sur les espérances
des uns, pour remplir les poches des autres.Les monstres ont un visage humain, de jolies paroles et tirent les ficelles pour parvenir à leurs fins, laminant les plus faibles et se gavant de leur déchéance.
Guillermo Del Toro nous emmène dans un monde sans foi ni honneur, cruel et sournois, où l’ambition et la réussite se payent à coups de pacte
avec le Diable. Cette allée de cauchemar ne vous laissera pas indemne et fera
paraître votre vie plus rose.
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