Article de Wilfrid RENAUD
Entre deux Mad Max, George Miller nous revient avec sa version de ce qui pourrait être des « Contes de Milles et une Nuit » dans une œuvre magique et somptueuse. Plus encore ce n’est pas un bel écrin vide et il propose une jolie réflexion sur l’amour, l’idéal de vie, la chance et le destin à travers le personnage du Djinn, interprété avec subtilité par Idris Elba.
Pour info, les Djinns sont des êtres surnaturels issus de la mythologie musulmane, plus habituellement nommés « génie », ayant leur libre-arbitre et capables d’influencer les humains.
Au départ, Alithéa Binne (Tilda Swinton, toujours aussi formidable, elle pourrait jouer une carafe vide qu’elle le serait encore), narratrice et maitre de conférences, en voyage au Moyen-Orient, femme se satisfaisant de sa solitude et cherchant « la vérité » à travers les histoires mythologiques. Dans une petite échoppe d’un souk, elle découvre un curieux flacon en verre. De retour à son hôtel, en voulant le nettoyer, elle libère le Djinn qui y était emprisonné. Celui-ci va lui proposer trois vœux. En proie à des hallucinations depuis plusieurs mois, elle va accepter sa présence dans sa chambre mais refuser de faire ses vœux. En lectrice aguerrie, elle sait que ce type de marché recèle des pièges cachés. Le Djinn va lui conter son histoire à travers ses trois emprisonnements à chaque fois dans un flacon différent …
Adaptation de la nouvelle Le Djinn dans l’œil-de-rossignol d' A.S Byatt, publiée en 1994, le film a le mérite de nous entrainer là où on ne s’y attendait pas, sortant avec malice des sentiers battus à partir de ce point de départ pourtant banal. Le Djinn, contant son histoire, sur plusieurs millénaires donc, fait preuve d’une malchance tragique, dans l’impossibilité d’aimer et/ou d’exaucer tous les vœux de ceux dont ils croisent l’existence. A noter que les détenteurs des vœux sont à chaque fois des femmes, aussi bien reines qu’esclaves ou femmes soumises.
L’imagerie de ces flashbacks, annoncés comme des chapitres d’un livre à l’écran, baignent de suffisamment de mystère, de charmes et d’envoûtement pour immerger le spectateur. La très belle photographie de John Seale renforce ses séquences où George Miller réinvente un langage cinématographique qui semblait passer aux oubliettes des productions habituelles trop formatées, osant tout entre une violence radicale, des hallucinations surréalistes et des personnages nus, aussi bien d’une beauté sculpturale que d’une obésité orgiaque. La musique également de Junkie XL alias Tom Holkenbourg, est en totale adéquation avec son sujet, livrant au passage une très belle séquence de numéro de cithare surréaliste.
Le dénouement entre le Djinn et Alithéa n’en sera que plus étonnant à la fin de ces histoires. L’érudite faisant le vœu d’amour réciproque, pour combler le vide existentiel de ce compagnon inattendu, autant que le sien qu’elle réfutait en le remplissant avec une vie de lecture monastique. Les vœux demandés sont habituellement tous égoïstes. L’heureux chanceux de ces contes demandant en général pour lui-même, l’amour, le luxe, le pouvoir. En faisant preuve d’altruisme et de générosité, le personnage d’Alithéa crée une première.
Mais là encore il y aura un prix à payer. L’accompagnant en Angleterre, le Djinn, s’adaptant mal au monde moderne de part sa nature électromagnétique (explication donnée dans le film), vulnérable comme un humain malgré l’amour d’Alithéa, aura un sort donnant lieu à un épilogue touchant et poétique.
Le duo d’acteurs-stars fait merveille. Le charisme d’Elba, combiné à l’intellectualisme rationnel de Swinton, font du couple un des plus originaux vus depuis longtemps. Surtout que Miller a joué sur les perspectives, rendant le Djinn un poil plus grand qu'Alithéa. Ce casting de tête s’entoure d’acteurs secondaires typés et surtout pluriculturels, aussi bien américains que turques, espagnoles ou italiens (on retrouve le fis du chanteur Andrea Bocelli) donnant une authenticité à la partie Moyen-Orient, là où il aurait été facile de placer des guest-stars.
Capable de bruit et de fureur avec sa saga Mad Max, pas mal de public avait sans doute oublié qu'il était capable d’enchantements comme avec Les Sorcières d’Eastwick (1987) ou le jovial dessin animé Happy Feet (2006). Georges Miller en a toujours sous la baboosh et signe ici l’un des plus beaux films de l’année, à la fois sur la forme et le fond.
A voir et à revoir sans attendre 3000 ans.
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