Après la claque cinématographique que fut "It Follows" en 2014, qui en se frayant un chemin à travers un bon nombre de productions horrifiques sans âme et vides, arriva à redonner au genre un niveau d’élégance et de virtuosité que l’on avait rarement vu depuis les années 70-80, le jeune réalisateur/scénariste David Robert Mitchell est revenu enfin avec un film tout aussi étrange présenté dans la sélection officielle du festival de Cannes tout en divisant par la même occasion le public.
Under The Silver Lake est un film noir et tortueux, sorte de Palma-Esque, qui nous offre une plongée dans un Los Angeles labyrinthique, au cœur d'une sale enquête nébuleuse orchestrée par un privé amateur/glandeur.
Jeu de pistes savoureusement étrange et d'une tristesse et d'une mélancolie dévastatrices (comme... It Follows), le film, qui mélange les genres avec une rigueur rare, croque les errances paranoïaques et absurdes d'un homme pathétique et impuissant joué par un Andrew Garfield qui livre encore une fois une performance admirable, très proche de ses débuts dans Boy A.
L'acteur campe ici un anti-héros nonchalant, somnolant, attardé et gauche, biberonné à la pop-culture, qui va peu à peu se plonger dans une enquête haute en couleurs, truffée d'indices obscurs et de patterns perdus dans des boites de céréales ou des vinyles (l'utilisation de How to Marry a Millionnaire relève du génie). Son allure de grand dadais un peu perdu n'aura jamais été aussi bien mise à contribution. David Robert Mitchell continue après ses courts-Métrages et son It Follows sa dépiction de l'adolescence comme une malédiction, où sexe, violence, désillusion et paranoïa se mêlent dans une vision nihiliste. Cette quête identitaire d'un personnage qui ne sait plus à quel moment ça a foiré est parfaitement mêlée à une description de la civilisation qui l'entoure, où tout le monde est perdu dans une utopie lointaine. Entre ses sectes new age, ses prostituées carnavalesques, ses hipsters superficiels, ses voisines habillées comme dans un porno ou ses individus de la haute société érigés en pantins dans des fêtes décalées, Los Angeles ressemble à un gigantesque théâtre humain libidineux au-delà d'un ville de cinéma pure. Un fabuleux décor incitant à un voyage initiatique halluciné, où le réalisateur cite Lynch, Hitchcock, De Palma ou Altman, ainsi que bon nombre de références au jeu vidéo, aux comics, la publicité ou à la musique, autant de pièces dans cet échiquier géant labyrinthique en proie aux souvenirs subliminaux et messages cachés. La manière de filmer les rues ou ses habitants renvoient à Mulholland Drive, le côté thriller à Vertigo, Fenêtre sur Cour ou Blow Out, la déambulation et le ton peuvent faire penser à The Long Goodbye ou Southland Tales, mais on est véritablement dans un film de David Robert Mitchell, qui digère un nombre incalculable d’œuvres pour fournir un film unique, sorte de polar LA noir cathartique et terminal, somme de tout un pan du cinéma.
La mise en scène demeure un pur délice, entre mouvements fluides, travelings déstabilisants ou plans longs aériens et plein de grâce, chaque image transpire le cinéma, magnifié par la photographie sublime de Michael Gioulakis (It Follows, Split, Glass, Us). Disasterpiece, déjà auteur de l'OST de son précédent film, revient dans une composition digne de l'âge d'or 50's-60's, le tout parvenant à apporter une atmosphère étrange, excitante, effrayante et énigmatique. Rupture de tons, richesse thématique, narration ambigüe, accumulation de pistes, scènes enivrantes et délires métaphysiques...on pourra pinailler sur la destination, moins marquante et intéressante que le voyage en lui-même, mais ce serait oublier la cohérence absolue du propos et de l'expérience unique que représente cette plongée sous le Lac d'Argent, et la preuve que David Robert Mitchell est un cinéaste à suivre de très près.
Bref pour conclure, Under the Silver Lake restera un film singulier, totalement barré à la beauté spectrale fracassante et organique, 2h20 de proposition de cinéma audacieuse...Une pépite à voir comme une œuvre complexe mais lisible et sensiblement hermétique, qui demande que l'on s'y perde aveuglément pour en capter toute sa rareté et sa singularité. Du trés bon cinéma souvent biberonné aujourd'hui aux mauvaises comédies françaises et autres blockbusters américains sans saveur comme les films de super-héros.